Facilitatrice graphique, Anaïs Bon accompagne les organisations dans la mise en mouvement collective. Avec LEA Partners, elle a animé une série d’ateliers centrés sur la raison d’agir de l’écosystème. Entre exploration individuelle et intelligence collective, elle revient sur cette expérience où le dessin devient un langage commun. L’entretien met en lumière à la fois la vision d’Anaïs sur la force de la pensée visuelle et ce que cette démarche révèle du modèle LEA : un collectif d’indépendants reliés par le plaisir d’agir ensemble.
Entretien avec Anaïs Bon
J’ai eu le plaisir de participer à l’atelier animé par Anaïs Bon, et j’avais envie de comprendre comment elle avait perçu ce moment collectif et nos intentions.
Ma curiosité m’a aussi conduit à explorer l’un de ses talents : la facilitation graphique, cet art de faire émerger le sens par le dessin.
Alors, place à l’entretien !
TC
Qu’as-tu perçu en facilitant l’atelier LEA Partners ?
C’est vraiment le plaisir à travailler ensemble. Au-delà de la diversité des parcours et des personnalités, il y avait quelque chose de l’ordre de la joie à être là, à frotter les cerveaux, à faire quelque chose de créatif. L’enthousiasme et le plaisir professionnel sont des moteurs de cette communauté.
Ce plaisir de collaborer est-il rare ?
Oui, c’est assez rare. Dans des grandes structures, très hiérarchiques, on ne retrouve pas cette ambiance. On est plus proches de ce que je vois dans des petits univers agiles, type start-up. Ici, j’ai senti une dimension de choix : les gens se sont choisis. L’autonomie est une valeur forte. Et ça se ressent dans la dynamique du groupe. Néanmoins, chacun tient à sa petite barque.
Qu’est-ce qui caractérise LEA Partners comme organisation ?
Il y a une dynamique écosystémique où les individualités tiennent ensemble parce qu’il y a une promesse : le plaisir à travailler ensemble. Si on enlève cette promesse, il y a trahison. Et il faut aussi un sens de l’action : une direction claire, une île vers laquelle aller. Ce que j’ai ressenti, c’est une tension collective vers l’excellence. Une exigence d’expertise partagée, mais aussi un élan individuel : l’envie d’être au top, d’être reconnu, d’apporter les meilleures réponses. Parce que c’est stimulant intellectuellement et valorisant.
Comment fais-tu émerger des idées profondes dans un groupe ?
C’est le groupe qui fait. Mon rôle est de créer les conditions pour que le groupe fasse. Je pose un cadre qui inspire confiance, pour que les gens livrent des choses sincères et potentiellement profondes. Il faut aussi stimuler la créativité : réveiller le corps, l’énergie de groupe, les connexions entre les différentes parties du cerveau, mettre du jeu. Quand on réactive l’inconscient, il entre dans la place et il reste jouer. C’est ça qu’on veut : un éveil créatif dans un cadre de confiance.
Les contraintes jouent aussi un grand rôle. Plus on met de règles et de contraintes de temps, plus il y a du jeu. Si on a quinze minutes, on n’a pas le temps de viser la perfection. On lâche prise, et les idées sortent plus librement.
Obtiens-tu toujours cette sincérité ?
Non. Il y a des bloqueurs de sincérité. Par exemple, c’était bien que Florent ne participe pas à l’atelier. Classiquement, quand un supérieur hiérarchique est présent, ça inhibe la parole. Et s’il y a des problèmes de confiance au sein d’une équipe, la sincérité devient impossible. Dans ce cas, il faut créer un cadre très particulier, voire passer en individuel.
Les entreprises comprennent-elles cette nécessité d’un cadre ouvert ?
De plus en plus. Quand elles veulent vraiment que quelque chose émerge, elles écoutent. Sinon, j’installe des contraintes ludiques : plus le système est verrouillé, plus j’impose de règles du jeu, et malgré tout, des choses sortent. Ce ne sera pas aussi transparent que dans un cadre sincère, mais il y a toujours quelque chose qui émerge. Parfois, on éclaire tout, sauf l’essentiel — l’éléphant au milieu de la pièce. Mais on le voit quand même par contraste.
Comment es-tu venue à la facilitation graphique ?
Je fais de la facilitation graphique depuis 2017. J’y suis venue par la traduction d’un livre : The Doodle Revolution de Sunni Brown. En le traduisant, je me suis dit : “Je veux faire ce métier.” C’était déjà ma manière naturelle de me concentrer — je dessine en écoutant. Ensuite, j’ai commencé à pratiquer avec des associations, notamment sur des ateliers participatifs. Puis j’ai fait le saut professionnel. J’avais déjà une pratique d’animation d’ateliers de théâtre et d’art plastique. Mon but n’était pas de transmettre une technique, mais de faire émerger la créativité des gens. Le glissement vers la facilitation graphique s’est fait naturellement.
Quelle forme prend ton travail aujourd’hui ?
Je pratique de deux manières. D’abord, la prise de notes en direct, lors de conférences ou workshops. Là, je fais la synthèse seule, en m’appuyant sur les métaphores qui émergent. Ensuite, la facilitation participative, comme avec vous : réfléchir ensemble, co-créer les images. C’est celle que je préfère. Elle s’inspire des Innovation Games et de la pensée visuelle comme levier collectif.
Est-ce aujourd’hui ton activité principale ?
Pas exactement. Je suis une “slasheuse”. La facilitation a pris plus de place récemment. J’anime aussi des fresques : la fresque du climat, la fresque de la diversité, la fresque de la biodiversité, et un jeu appelé Mission Coopération. Ces ateliers explorent la collaboration et la compréhension des dynamiques de groupe. C’est passionnant.
Qu’a de particulier la facilitation graphique ?
Ce n’est pas une panacée, mais c’est un outil génial. Universel et simple. Les humains dessinent depuis toujours : c’est un langage naturel, instinctif. Même ceux qui disent ne pas savoir dessiner retrouvent vite le plaisir de tracer. On se reconnecte à une liberté enfantine. Ce n’est pas la qualité du dessin qui compte, mais la compréhension et la pertinence. Et le dessin fait bouger le corps : il crée une énergie dans l’espace, il suscite la conversation. C’est une manière humble et vivante d’enrichir les échanges.
Quelle suite imagines-tu pour le travail avec LEA Partners ?
J’ai envie de proposer quelque chose de nouveau. Si tous les participants n’ont pas vécu la première expérience, on pourrait continuer sur la pensée visuelle. Mais sinon, j’aimerais explorer autre chose : l’atelier d’écriture, le récit collectif, la design fiction. On peut mêler mots et images. L’important, c’est de partir de l’objectif : savoir ce qu’on veut faire émerger, et ensuite choisir les bons outils.
Comment vois-tu la spécificité d’un écosystème comme LEA par rapport à d’autres organisations ?
C’est un modèle où l’autonomie et la confiance priment. Ce n’est pas un système descendant, hiérarchique. La dynamique est horizontale, vivante. Et c’est ce qui rend ce type d’écosystème si riche : les individualités ne s’annulent pas, elles s’enrichissent les unes les autres.
Merci Anaïs
Thierry Coulmain
LEA Partners


